Le temps des scandales
En mai 1662, la
troupe est invitée à Saint-Germain et interprète huit comédies en moins d’une semaine
devant le roi. En juin, elle fait un séjour de sept
semaines à la cour et joue treize fois devant le roi. C’est la consécration. De
mai à septembre, le roi assiste à vingt-quatre représentations de Molière,
record qui ne sera jamais battu. Les gratifications royales représentent le
tiers du bénéfice de la troupe pour la saison 1663-1664.
La querelle de L'École des femmes
Le 26 décembre
1662, Molière crée une grande comédie en cinq actes et en vers. L’École des
femmes (8e pièce de Molière, qui joue Arnolphe), mettant en cause les idées
reçues sur la condition de la femme et le statut du mariage chrétien. C'est un succès immédiat et éclatant, comme il n'en a encore
jamais connu et qui le consacre grand auteur, mais une partie de l’opinion
l’accuse d’immoralité et d’impiété. La scène du « il m’a pris…le… » (acte II, scène 5) est trouvée
indécente, « rien de plus scandaleux », écrit Conti, « équivoque
la plus grossière dont on ait jamais infecté les oreilles des chrétiens »
dira Bossuet. On lui reproche de parodier un sermon
dans les recommandations d’Arnolphe à Agnès et les commandements de Dieu dans
les « Maximes du mariage ou les devoirs de la femme mariée, avec son
exercice journalier » (acte III, scène 3). La querelle de L’École des
femmes va durer plus d’un an et faire beaucoup de bruit, sous la forme d’une
cabale mondaine et d’une querelle littéraire. Des pièces mettant en cause la
moralité de l’auteur et l’attaquant sur sa vie privée sont jouées par la troupe
concurrente de l’Hôtel de Bourgogne.
Molière réplique
en juin 1663 au Palais-Royal par la critique de l’École des femmes et en
octobre en créant à Versailles L’Impromptu de Versailles, qui se présente comme
« une comédie des comédiens », où se mêlent théâtre et réalité, dans
l’improvisation et la parodie. La scène se passe à
Versailles. C’est une répétition. Les acteurs de la troupe sont là avec leur
propre nom et Molière leur donne ses instructions pour la pièce nouvelle qu’ils
doivent jouer devant le roi et précise à l'adresse de ses ennemis les bornes à
ne pas dépasser :
« Qu’ils disent tous les maux du
monde de mes pièces, j’en suis d’accord. Je leur abandonne de bon cœur mes
ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix et ma façon de
réciter […] Mais ils doivent me faire la grâce de me laisser le reste [...]
Voilà toute la réponse qu’ils auront de moi ».
Bref, qu’on ne l’attaque pas sur sa vie
privée.
En juin, le roi accorde des
gratifications aux gens de lettres ; Molière fait partie des
bénéficiaires. Il écrit et publie son Remerciement au Roi. Sa gratification
sera renouvelée tous les ans jusqu’à sa mort.
L’interdiction du Tartuffe
Pour désamorcer la bombe qu’était le premier Tartuffe (1664), Molière transforme en 1667 son dévot hypocrite en un dangereux escroc qui simule la dévotion. Il adoucit certaines tirades et met l’accent sur l’hypocrisie du personnage plus que sur son rôle de directeur de conscience. Mais la version définitive en 1669 le laisse escroc, tout en lui rendant ses habits semi-ecclésiastiques, comme on le voit sur cette gravure, créant ainsi une forte ambiguïté sur le personnage.
Le 29 janvier
1664, Molière présente au Louvre une comédie-ballet, Le Mariage forcé, dans
laquelle il reprend son personnage de Sganarelle — un vieux Sganarelle à qui
vient subitement le désir de se marier et qui entreprend une quête à la Panurge
pour savoir s'il est promis au cocuage — et où le roi danse, costumé en
Égyptien. Du 30 avril au 14 mai, la troupe est à
Versailles pour les fêtes des Plaisirs de l'Île enchantée, qui sont en quelque
sorte l’inauguration des jardins de Versailles. C’est un véritable « festival
Molière ». La troupe de
Molière contribue beaucoup aux réjouissances des trois premières journées de
fête, qui portent le nom de Plaisirs de l'Île enchantée, et le clou de la
deuxième journée (le 8 mai) consiste en « une comédie galante, mêlée de
musique et d’entrées de ballet » de Molière avec la collaboration de Lully
pour la musique et de Beauchamp pour les ballets, LaPrincesse d’Élide. Après le retour à Paris d'une partie de la cour, dans la nuit du 9
mai, Louis XIV décide de poursuivre les réjouissances durant quatre jours
supplémentaires jusqu'à son départ pour Fontainebleau, prévu le 14, et demande
notamment à Molière d'assurer les divertissements des soirées des 11, 12 et 13
mai. S'enchaînèrent ainsi les
représentations des Fâcheux le 11 mai, d'une première version du Tartuffe le 12
mai, et de la petite comédie Le Mariage forcé le 13n. C'était la première représentation du Tartuffe, (13e pièce de
Molière, qui jouait lui-même Orgon, le père de famille).
On ne connaît pas
le texte de la version du Tartuffe jouée le 12 mai 1664, car le lendemain ou le
surlendemain Louis XIV se résigna, à la demande de l'archevêque de Paris, son
ancien précepteur, à défendre à Molière de la représenter en public —ce qui ne
l'empêcha pas de la revoir, en privé avec une partie de la Cour, chez Monsieur,
qui était officiellement le patron de la troupe de Molière, à Villers-Cotterêts,
en septembre. On connaît seulement la version
considérablement remaniée pour la rendre acceptable, que Molière publiera cinq
ans plus tard en 1669, aussitôt après avoir obtenu permission de la jouer.
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