L'Étourdi de Molière - Teaser (par l'Acting Studio)
Acte 2
ACTE II, SCÈNE PREMIÈRE
MASCARILLE, LÉLIE. | |
MASCARILLE | |
À vos désirs enfin il a fallu se rendre, Malgré tous mes serments je n’ai pu m’en défendre, | |
Et pour vos intérêts que je voulais laisser, En de nouveaux périls viens de m’embarrasser ; Je suis ainsi facile, et si de Mascarille Madame la nature avait fait une fille, Je vous laisse à penser ce que ç’aurait été. | |
Toutefois, n’allez pas sur cette sûreté Donner de vos revers au projet que je tente, Me faire une bévue, et rompre mon attente ; Auprès d’Anselme encor nous vous excuserons, Pour en pouvoir tirer ce que nous désirons ; | |
Mais si dorénavant votre imprudence éclate, Adieu vous dis mes soins pour l’objet qui vous flatte. | |
LÉLIE | |
Non, je serai prudent, te dis-je, ne crains rien, Tu verras seulement... | |
MASCARILLE | |
Souvenez-vous-en bien : | |
J’ai commencé pour vous un hardi stratagème : | |
Votre père fait voir une paresse extrême À rendre par sa mort tous vos désirs contents, Je viens de le tuer, de parole, j’entends, Je fais courir le bruit que d’une apoplexie, Le bonhomme surpris a quitté cette vie ; | |
Mais avant, pour pouvoir mieux feindre ce trépas, J’ai fait que vers sa grange il a porté ses pas ; On est venu lui dire, et par mon artifice, Que les ouvriers qui sont après son édifice, Parmi les fondements qu’ils en jettent encor, | |
Avaient fait par hasard rencontre d’un trésor ; Il a volé d’abord, et comme à la campagne Tout son monde à présent hors nous deux l’accompagne, Dans l’esprit d’un chacun je le tue aujourd’hui, Et produis un fantôme enseveli pour lui: | |
Enfin je vous ai dit à quoi je vous engage, Jouez bien votre rôle, et pour mon personnage, Si vous apercevez que j’y manque d’un mot, Dites absolument que je ne suis qu’un sot. | |
LÉLIE, seul. | |
Son esprit, il est vrai, trouve une étrange voie | |
Pour adresser mes vœux au comble de leur joie ; Mais quand d’un bel objet on est bien amoureux, Que ne ferait-on pas pour devenir heureux ? Si l’amour est au crime une assez belle excuse, Il en peut bien servir à la petite ruse, | |
Que sa flamme aujourd’hui me force d’approuver Par la douceur du bien qui m’en doit arriver : Juste Ciel ! qu’ils sont prompts ! je les vois en parole, Allons nous préparer à jouer notre rôle. |
SCÈNE II
MASCARILLE, ANSELME. | |
MASCARILLE | |
La nouvelle a sujet de vous surprendre fort. | |
ANSELME | |
Etre mort de la sorte ! | |
MASCARILLE | |
Il a certes grand tort. | |
Je lui sais mauvais gré d’une telle incartade. | |
ANSELME
| |
N’avoir pas seulement le temps d’être malade ! | |
MASCARILLE | |
Non, jamais homme n’eut si hâte de mourir. | |
ANSELME | |
Et Lélie ? | |
MASCARILLE | |
Il se bat, et ne peut rien souffrir : | |
Il s’est fait en maints lieux contusion et bosse, Et veut accompagner son papa dans la fosse : Enfin, pour achever, l’excès de son transport M’a fait en grande hâte ensevelir le mort, De peur que cet objet qui le rend hypocondre, | |
À faire un vilain coup ne me l’allât semondre. | |
ANSELME | |
N’importe, tu devais attendre jusqu’au soir, Outre qu’encore un coup j’aurais voulu le voir. Qui tôt ensevelit, bien souvent assassine, Et tel est cru défunt qui n’en a que la mine. | |
MASCARILLE
| |
Je vous le garantis trépassé comme il faut ; Au reste, pour venir au discours de tantôt, Lélie, et l’action lui sera salutaire, D’un bel enterrement veut régaler son père, Et consoler un peu ce défunt de son sort, | |
Par le plaisir de voir faire honneur à sa mort ; Il hérite beaucoup, mais comme en ses affaires, Il se trouve assez neuf, et ne voit encor guères ; Que son bien la plupart n’est point en ces quartiers, Ou que ce qu’il y tient consiste en des papiers ; | |
Il voudrait vous prier, ensuite de l’instance D’excuser de tantôt son trop de violence, De lui prêter au moins pour ce dernier devoir... | |
Tu me l’as déjà dit, et je m’en vais le voir. | |
MASCARILLE | |
Jusques ici du moins tout va le mieux du monde : | |
Tâchons à ce progrès que le reste réponde, Et de peur de trouver dans le port un écueil, Conduisons le vaisseau de la main et de l’œil. |
SCÈNE III
LÉLIE, ANSELME, MASCARILLE. | |
ANSELME | |
Sortons, je ne saurais qu’avec douleur très forte, Le voir empaqueté de cette étrange sorte: | |
Las ! en si peu de temps ! il vivait ce matin ! | |
MASCARILLE | |
En peu de temps parfois on fait bien du chemin. | |
LÉLIE | |
Ah ! | |
ANSELME | |
Mais quoi ? cher Lélie, enfin il était homme : | |
On n’a point pour la mort de dispense de Rome. | |
LÉLIE | |
Ah ! | |
ANSELME | |
Sans leur dire gare elle abat les humains, | |
Et contre eux de tout temps a de mauvais desseins. | |
LÉLIE | |
Ah ! | |
ANSELME | |
Ce fier animal pour toutes les prières, | |
Ne perdrait pas un coup de ses dents meurtrières, Tout le monde y passe. | |
LÉLIE | |
Ah ! | |
MASCARILLE | |
Vous avez beau prêcher, | |
Ce deuil enraciné ne se peut arracher. | |
ANSELME | |
Si malgré ces raisons votre ennui persévère, Mon cher Lélie, au moins, faites qu’il se modère. | |
LÉLIE | |
Ah ! | |
MASCARILLE | |
Il n’en fera rien, je connais son humeur. | |
ANSELME | |
Au reste, sur l’avis de votre serviteur, J’apporte ici l’argent qui vous est nécessaire, | |
Pour faire célébrer les obsèques d’un père... | |
LÉLIE | |
Ah ! Ah ! | |
MASCARILLE | |
Comme à ce mot s’augmente sa douleur, | |
Il ne peut sans mourir, songer à ce malheur. | |
ANSELME | |
Je sais que vous verrez aux papiers du bonhomme, Que je suis débiteur d’une plus grande somme : | |
Mais, quand par ces raisons je ne vous devrais rien, Vous pourriez librement disposer de mon bien. Tenez, je suis tout vôtre, et le ferai paraître. | |
LÉLIE, s’en allant. | |
Ah ! | |
MASCARILLE | |
Le grand déplaisir que sent Monsieur mon maître ! | |
ANSELME | |
Mascarille, je crois qu’il serait à propos, | |
Qu’il me fît de sa main un reçu de deux mots. | |
MASCARILLE | |
Ah ! | |
ANSELME | |
Des événements l’incertitude est grande. | |
MASCARILLE | |
Ah ! | |
ANSELME | |
Faisons-lui signer le mot que je demande. | |
MASCARILLE | |
Las ! en l’état qu’il est comment vous contenter ! Donnez-lui le loisir de se désattrister ; | |
Et quand ses déplaisirs prendront quelque allégeance, J’aurai soin d’en tirer d’abord votre assurance. Adieu, je sens mon cœur qui se gonfle d’ennui, Et m’en vais tout mon soûl pleurer avecque lui ! Ah ! | |
ANSELME, seul. | |
Le monde est rempli de beaucoup de traverses, | |
Chaque homme tous les jours en ressent de diverses, Et jamais ici-bas... |
SCÈNE IV
PANDOLPHE, ANSELME | |
ANSELME | |
Ah ! bons dieux, je frémi ! | |
Pandolfe qui revient ! fût-il bien endormi. Comme depuis sa mort sa face est amaigrie ! Las ! ne m’approchez pas de plus près, je vous prie ; | |
J’ai trop de répugnance à coudoyer un mort. | |
PANDOLFE | |
D’où peut donc provenir ce bizarre transport ? | |
ANSELME | |
Dites-moi de bien loin quel sujet vous amène. Si pour me dire adieu vous prenez tant de peine, C’est trop de courtoisie, et véritablement, | |
Je me serais passé de votre compliment. Si votre âme est en peine et cherche des prières, Las ! je vous en promets, et ne m’effrayez guères. Foi d’homme épouvanté, je vais faire à l’instant Prier tant Dieu pour vous, que vous serez content. | |
Disparaissez donc, je vous prie,
Et que le Ciel par sa bonté, Comble de joie et de santé Votre défunte seigneurie. | |
PANDOLFE, riant. | |
Malgré tout mon dépit, il m’y faut prendre part. | |
ANSELME | |
Las ! pour un trépassé vous êtes bien gaillard ! | |
PANDOLFE | |
Est-ce jeu ? dites-nous, ou bien si c’est folie, Qui traite de défunt une personne en vie ? | |
ANSELME | |
Hélas ! vous êtes mort, et je viens de vous voir. | |
PANDOLFE | |
Quoi ? j’aurais trépassé sans m’en apercevoir ? | |
ANSELME | |
Sitôt que Mascarille en a dit la nouvelle, J’en ai senti dans l’âme une douleur mortelle. | |
PANDOLFE | |
Mais enfin dormez-vous ? êtes-vous éveillé ? Me connaissez-vous pas ? | |
ANSELME | |
Vous êtes habillé | |
D’un corps aérien qui contrefait le vôtre, | |
Mais qui dans un moment peut devenir tout autre. Je crains fort de vous voir comme un géant grandir, Et tout votre visage affreusement laidir. Pour Dieu, ne prenez point de vilaine figure ; J’ai prou de ma frayeur en cette conjoncture. | |
PANDOLFE | |
En une autre saison, cette naïveté, Dont vous accompagnez votre crédulité, Anselme, me serait un charmant badinage, Et j’en prolongerais le plaisir davantage : Mais avec cette mort un trésor supposé, | |
Dont parmi les chemins on m’a désabusé, Fomente dans mon âme un soupçon légitime. Mascarille est un fourbe, et fourbe fourbissime, Sur qui ne peuvent rien la crainte, et le remords, Et qui pour ses desseins a d’étranges ressorts. | |
ANSELME | |
M’aurait-on joué pièce, et fait supercherie ? Ah ! vraiment ma raison vous seriez fort jolie ! Touchons un peu pour voir : en effet, c’est bien lui. Malepeste du sot, que je suis aujourd’hui ! De grâce, n’allez pas divulguer un tel conte ; | |
On en ferait jouer quelque farce à ma honte : Mais, Pandolfe, aidez-moi vous-même à retirer L’argent que j’ai donné pour vous faire enterrer. | |
PANDOLFE | |
De l’argent, dites-vous ? ah ! voilà l’enclouure. Voilà le nœud secret de toute l’aventure; | |
À votre dam. Pour moi, sans m’en mettre en souci, Je vais faire informer de cette affaire ici, Contre ce Mascarille, et si l’on peut le prendre, Quoi qu’il puisse coûter, je veux le faire pendre. | |
ANSELME | |
Et moi, la bonne dupe, à trop croire un vaurien, | |
Il faut donc qu’aujourd’hui je perde, et sens, et bien ? Il me sied bien, ma foi, de porter tête grise, Et d’être encor si prompt à faire une sottise ! D’examiner si peu sur un premier rapport... Mais je vois... |
SCÈNE V
LÉLIE, ANSELME. | |
LÉLIE | |
Maintenant, avec ce passe-port, | |
Je puis à Trufaldin rendre aisément visite. | |
ANSELME | |
À ce que je puis voir, votre douleur vous quitte ? | |
LÉLIE | |
Que dites-vous ! jamais elle ne quittera, Un cœur qui chèrement toujours la nourrira. | |
ANSELME | |
Je reviens sur mes pas, vous dire, avec franchise, | |
Que tantôt avec vous j’ai fait une méprise ; Que parmi ces louis, quoiqu’ils semblent très beaux, J’en ai sans y penser mêlé que je tiens faux, Et j’apporte sur moi de quoi mettre en leur place : De nos faux-monnoyeurs l’insupportable audace, | |
Pullule en cet État d’une telle façon, Qu’on ne reçoit plus rien qui soit hors de soupçon : Mon Dieu, qu’on ferait bien de les faire tous pendre ! | |
LÉLIE | |
Vous me faites plaisir de les vouloir reprendre ; Mais je n’en ai point vu de faux, comme je croi. | |
ANSELME | |
Je les connaîtrai bien, montrez, montrez-les-moi : Est-ce tout ? | |
LÉLIE | |
Oui. | |
ANSELME | |
Tant mieux ; enfin je vous raccroche, | |
Mon argent bien aimé, rentrez dedans ma poche ; Et vous, mon brave escroc, vous ne tenez plus rien ; Vous tuez donc des gens qui se portent fort bien ; | |
Et qu’auriez-vous donc fait sur moi, chétif beau-père ? Ma foi, je m’engendrais d’une belle manière ! Et j’allais prendre en vous un beau-fils fort discret. Allez, allez mourir de honte, et de regret. | |
LÉLIE | |
Il faut dire : "J’en tiens" ; quelle surprise extrême ! | |
D’où peut-il avoir su sitôt le stratagème ! |
SCÈNE VI
MASCARILLE, LÉLIE. | |
MASCARILLE | |
Quoi ? vous étiez sorti ? je vous cherchais partout : Hé bien ? en sommes-nous enfin venus à bout ; Je le donne en six coups au fourbe le plus brave, Çà, donnez-moi que j’aille acheter notre esclave, | |
Votre rival après sera bien étonné. | |
LÉLIE | |
Ah ! mon pauvre garçon, la chance a bien tourné, Pourrais-tu de mon sort deviner l’injustice ? | |
MASCARILLE | |
Quoi ? que serait-ce ? | |
LÉLIE | |
Anselme instruit de l’artifice, | |
M’a repris maintenant tout ce qu’il nous prêtait, | |
Sous couleur de changer de l’orque l’on doutait. | |
MASCARILLE | |
Vous vous moquez peut-être ? | |
LÉLIE | |
Il est trop véritable. | |
MASCARILLE | |
Tout de bon ? | |
LÉLIE | |
Tout de bon, j’en suis inconsolable ; | |
Tu te vas emporter d’un courroux sans égal. | |
MASCARILLE | |
Moi, monsieur ? Quelque sot ! la colère fait mal ; | |
Et je veux me choyer, quoi qu’enfin il arrive : Que Célie après tout soit ou libre, ou captive ; Que Léandre l’achète, ou qu’elle reste là, Pour moi, je m’en soucie autant que de cela. | |
LÉLIE | |
Ah ! n’aye point pour moi si grande indifférence, | |
Et sois plus indulgent à ce peu d’imprudence. Sans ce dernier malheur, ne m’avoueras-tu pas, Que j’avais fait merveille ? et qu’en ce feint trépas J’éludais un chacun d’un deuil si vraisemblable, Que les plus clairvoyants l’auraient cru véritable. | |
MASCARILLE | |
Vous avez en effet sujet de vous louer. | |
LÉLIE | |
Hé bien, je suis coupable, et je veux l’avouer ; Mais, si jamais mon bien te fut considérable , Répare ce malheur, et me sois secourable. | |
MASCARILLE | |
Je vous baise les mains, je n’ai pas le loisir. | |
LÉLIE | |
Mascarille, mon fils. | |
MASCARILLE | |
Point. | |
LÉLIE | |
Fais-moi ce plaisir. | |
MASCARILLE | |
Non, je n’en ferai rien. | |
LÉLIE | |
Si tu m’es inflexible, | |
Je m’en vais me tuer. | |
MASCARILLE | |
Soit, il vous est loisible. | |
LÉLIE | |
Je ne te puis fléchir ? | |
MASCARILLE | |
Non. | |
LÉLIE | |
Vois-tu le fer prêt ? | |
MASCARILLE | |
Oui. | |
LÉLIE | |
Je vais le pousser. | |
MASCARILLE | |
Faites ce qu’il vous plaît. | |
LÉLIE | |
Tu n’auras pas regret de m’arracher la vie ? | |
MASCARILLE | |
Non. | |
LÉLIE | |
Adieu, Mascarille. | |
MASCARILLE | |
Adieu, Monsieur Lélie. | |
LÉLIE | |
Quoi... ? | |
MASCARILLE | |
Tuez-vous donc vite : ah ! que de longs devis ! | |
LÉLIE | |
Tu voudrais bien, ma foi, pour avoir mes habits, Que je fisse le sot, et que je me tuasse. | |
MASCARILLE | |
Savais-je pas qu’enfin ce n’était que grimace ; Et, quoi que ces esprits jurent d’effectuer, Qu’on n’est point aujourd’hui si prompt à se tuer. |
SCÈNE VII
LÉANDRE, TRUFALDIN, LÉLIE, MASCARILLE. | |
LÉLIE | |
Que vois-je ! mon rival et Trufaldin ensemble ! Il achète Célie ; ah ! de frayeur je tremble. | |
MASCARILLE | |
Il ne faut point douter qu’il fera ce qu’il peut, Et, s’il a de l’argent, qu’il pourra ce qu’il veut : Pour moi, j’en suis ravi : voilà la récompense De vos brusques erreurs, de votre impatience. | |
LÉLIE | |
Que dois-je faire ? dis, veuille me conseiller. | |
MASCARILLE | |
Je ne sais. | |
LÉLIE | |
Laisse-moi, je vais le quereller. | |
MASCARILLE | |
Qu’en arrivera-t-il ? | |
LÉLIE | |
Que veux-tu que je fasse | |
Pour empêcher ce coup ? | |
MASCARILLE | |
Allez, je vous fais grâce ; | |
Je jette encore un œil pitoyable sur vous, Laissez-moi l’observer ; par des moyens plus doux ; | |
Je vais, comme je crois, savoir ce qu’il projette. | |
TRUFALDIN | |
Quand on viendra tantôt, c’est une affaire faite. | |
MASCARILLE | |
Il faut que je l’attrape, et que de ses desseins Je sois le confident pour mieux les rendre vains. | |
LÉANDRE | |
Grâces au Ciel, voilà mon bonheur hors d’atteinte, | |
J’ai su me l’assurer, et je n’ai plus de crainte ; Quoi que désormais puisse entreprendre un rival, Il n’est plus en pouvoir de me faire du mal. | |
MASCARILLE | |
Ahi, ahi, à l’aide, au meurtre, au secours, on m’assomme, Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ô traître ! ô bourreau d’homme ! | |
LÉANDRE | |
D’où procède cela ? qu’est-ce ? que te fait-on ? | |
MASCARILLE | |
On vient de me donner deux cents coups de bâton. | |
LÉANDRE | |
Qui ? | |
MASCARILLE | |
Lélie. | |
LÉANDRE | |
Et pourquoi ? | |
MASCARILLE | |
Pour une bagatelle, | |
Il me chasse et me bat d’une façon cruelle. | |
LÉANDRE | |
Ah ! vraiment il a tort. | |
MASCARILLE | |
Mais, ou je ne pourrai, | |
Ou je jure bien fort, que je m’en vengerai ; Oui, je te ferai voir, batteur que Dieu confonde, Que ce n’est pas pour rien qu’il faut rouer le monde : Que je suis un valet, mais fort homme d’honneur, Et qu’après m’avoir eu quatre ans pour serviteur, | |
Il ne me fallait pas payer en coups de gaules, Et me faire un affront si sensible aux épaules : Je te le dis encor, je saurai m’en venger ; Une esclave te plaît, tu voulais m’engager À la mettre en tes mains, et je veux faire en sorte | |
Qu’un autre te l’enlève, ou le diable m’emporte. | |
LÉANDRE | |
Écoute, Mascarille, et quitte ce transport ; Tu m’as plu de tout temps, et je souhaitais fort Qu’un garçon comme toi plein d’esprit et fidèle, À mon service un jour pût attacher son zèle : | |
Enfin, si le parti te semble bon pour toi, Si tu veux me servir, je t’arrête, avec moi. | |
MASCARILLE | |
Oui, Monsieur, d’autant mieux que le destin propice M’offre à me bien venger en vous rendant service, Et que dans mes efforts pour vos contentements, | |
Je puis à mon brutal trouver des châtiments. De Célie en un mot par mon adresse extrême... | |
LÉANDRE | |
Mon amour s’est rendu cet office lui-même, Enflammé d’un objet qui n’a point de défaut, Je viens de l’acheter moins encor qu’il ne vaut. | |
MASCARILLE | |
Quoi ? Célie est à vous ? | |
LÉANDRE | |
Tu la verrais paraître, | |
Si de mes actions j’étais tout à fait maître : Mais quoi ! mon père l’est : comme il a volonté, Ainsi que je l’apprends d’un paquet apporté, De me déterminer à l’hymen d’Hippolyte, | |
J’empêche qu’un rapport de tout ceci l’irrite. Donc avec Trufaldin ; car je sors de chez lui, J’ai voulu tout exprès agir au nom d’autrui, Et l’achat fait, ma bague est la marque choisie, Sur laquelle au premier il doit livrer Célie ; | |
Je songe auparavant à chercher les moyens D’ôter aux yeux de tous ce qui charme les miens, À trouver promptement un endroit favorable, Où puisse être en secret cette captive aimable. | |
MASCARILLE | |
Hors de la ville un peu, je puis avec raison, | |
D’un vieux parent que j’ai vous offrir la maison, Là, vous pourrez la mettre avec toute assurance, Et de cette action nul n’aura connaissance. | |
LÉANDRE | |
Oui, ma foi, tu me fais un plaisir souhaité. Tiens donc, et va pour moi prendre cette beauté, | |
Dès que par Trufaldin ma bague sera vue, Aussitôt en tes mains elle sera rendue, Et dans cette maison tu me la conduiras Quand... Mais chut, Hippolyte est ici sur nos pas. |
SCÈNE VIII
HIPPOLYTE, LÉANDRE, MASCARILLE. | |
HIPPOLYTE | |
Je dois vous annoncer, Léandre, une nouvelle ; | |
Mais la trouverez-vous agréable, ou cruelle ? | |
LÉANDRE | |
Pour en pouvoir juger, et répondre soudain, Il faudrait la savoir. | |
HIPPOLYTE | |
Donnez-moi donc la main | |
Jusqu’au temple, en marchant je pourrai vous l’apprendre. | |
LÉANDRE | |
Va, va-t’en me servir sans davantage attendre. | |
MASCARILLE | |
Oui, je te vais servir d’un plat de ma façon ; Fut-il jamais au monde un plus heureux garçon ! Oh ! que dans un moment Lélie aura de joie ! Sa maîtresse en nos mains tomber par cette voie ! Recevoir tout son bien, d’où l’on attend le mal! | |
Et devenir heureux par la main d’un rival ! Après ce rare exploit, je veux que l’on s’apprête À me peindre en héros un laurier sur la tête, Et qu’au bas du portrait on mette en lettres d’or, Vivat Mascarillus, fourbum imperator. |
SCÈNE IX
TRUFALDIN, MASCARILLE. | |
MASCARILLE | |
Holà ! | |
TRUFALDIN | |
Que voulez-vous ? | |
MASCARILLE | |
Cette bague connue, | |
Vous dira le sujet qui cause ma venue. | |
TRUFALDIN | |
Oui, je reconnais bien la bague que voilà : Je vais quérir l’esclave, arrêtez un peu là. |
SCÈNE X
LE COURRIER, TRUFALDIN, MASCARILLE. | |
LE COURRIER | |
Seigneur, obligez-moi de m’enseigner un homme... | |
TRUFALDIN | |
Et qui ? | |
LE COURRIER | |
800 | Je crois que c’est Trufaldin qu’il se nomme. |
TRUFALDIN | |
Et que lui voulez-vous ? Vous le voyez ici. | |
LE COURRIER | |
Lui rendre seulement la lettre que voici. | |
Lettre. | |
Le Ciel dont la bonté prend souci de ma vie, Vient de me faire ouïr par un bruit assez doux, | |
Que ma fille à quatre ans par des voleurs ravie, Sous le nom de Célie est esclave chez vous.
Si vous sûtes jamais ce que c’est qu’être père,
Et vous trouvez sensible aux tendresses du sang, Conservez-moi chez vous cette fille si chère, | |
Comme si de la vôtre elle tenait le rang.
Pour l’aller retirer, je pars d’ici moi-même,
Et vous vais de vos soins récompenser si bien, Que par votre bonheur que je veux rendre extrême, Vous bénirez le jour où vous causez le mien. | |
De Madrid. Dom Pedro de Gusman, | |
Marquis de Montalcane. | |
TRUFALDIN | |
Quoiqu’à leur nation bien peu de foi soit due, Ils me l’avaient bien dit, ceux qui me l’ont vendue, Que je verrais dans peu quelqu’un la retirer, Et que je n’aurais pas sujet d’en murmurer : Et cependant j’allais par mon impatience, | |
Perdre aujourd’hui les fruits d’une haute espérance. Un seul moment plus tard tous vos pas étaient vains, J’allais mettre en l’instant cette fille en ses mains ; Mais suffit, j’en aurai tout le soin qu’on désire. Vous-même vous voyez ce que je viens de lire : | |
Vous direz à celui qui vous a fait venir, Que je ne lui saurais ma parole tenir. Qu’il vienne retirer son argent. | |
MASCARILLE | |
Mais l’outrage | |
Que vous lui faites... | |
TRUFALDIN | |
Va, sans causer davantage. | |
MASCARILLE | |
Ah ! le fâcheux paquet que nous venons d’avoir ! | |
Le sort a bien donné la baye à mon espoir ! Et bien à la male-heure est-il venu d’Espagne, Ce courrier que la foudre, ou la grêle accompagne; Jamais, certes, jamais, plus beau commencement, N’eut en si peu de temps plus triste événement. |
SCÈNE XI
LÉLIE, MASCARILLE. | |
MASCARILLE | |
835 | Quel beau transport de joie à présent vous inspire ? |
LÉLIE | |
Laisse-m’en rire encore avant que te le dire. | |
MASCARILLE | |
Çà, rions donc bien fort, nous en avons sujet. | |
LÉLIE | |
Ah ! je ne serai plus de tes plaintes l’objet. Tu ne me diras plus, toi qui toujours me cries, | |
Que je gâte en brouillon toutes tes fourberies : J’ai bien joué moi-même un tour des plus adroits. Il est vrai, je suis prompt, et m’emporte parfois ; Mais pourtant, quand je veux, j’ai l’imaginative Aussi bonne en effet, que personne qui vive ; | |
Et toi-même avoueras que ce que j’ai fait part D’une pointe d’esprit où peu de monde a part. | |
MASCARILLE | |
Sachons donc ce qu’a fait cette imaginative. | |
LÉLIE | |
Tantôt, l’esprit ému d’une frayeur bien vive, D’avoir vu Trufaldin avecque mon rival, | |
Je songeais à trouver un remède à ce mal, Lorsque me ramassant tout entier en moi-même, J’ai conçu, digéré, produit un stratagème, Devant qui tous les tiens, dont tu fais tant de cas, Doivent sans contredit, mettre pavillon bas. | |
MASCARILLE | |
Mais qu’est-ce ? | |
LÉLIE | |
Ah ! s’il te plaît, donne-toi patience ; | |
J’ai donc feint une lettre avecque diligence, Comme d’un grand seigneur écrite à Trufaldin, Qui mande, qu’ayant su par un heureux destin, Qu’une esclave qu’il tient sous le nom de Célie | |
Est sa fille autrefois par des voleurs ravie ; Il veut la venir prendre, et le conjure au moins De la garder toujours, de lui rendre des soins ; Qu’à ce sujet il part d’Espagne, et doit pour elle Par de si grands présents reconnaître son zèle, | |
Qu’il n’aura point regret de causer son bonheur. | |
MASCARILLE | |
Fort bien. | |
LÉLIE | |
Écoute donc ; voici bien le meilleur. | |
La lettre que je dis a donc été remise ; Mais, sais-tu bien comment ? En saison si bien prise, Que le porteur m’a dit que sans ce trait falot, | |
Un homme l’emmenait qui s’est trouvé fort sot. | |
MASCARILLE | |
Vous avez fait ce coup sans vous donner au diable? | |
LÉLIE | |
Oui, d’un tour si subtil m’aurais-tu cru capable ? Loue au moins mon adresse, et la dextérité, Dont je romps d’un rival le dessein concerté. | |
MASCARILLE | |
À vous pouvoir louer selon votre mérite, Je manque d’éloquence, et ma force est petite ; Oui, pour bien étaler cet effort relevé, Ce bel exploit de guerre à nos yeux achevé, Ce grand et rare effet d’une imaginative, | |
Qui ne cède en vigueur à personne qui vive, Ma langue est impuissante, et je voudrais avoir Celles de tous les gens du plus exquis savoir, Pour vous dire en beaux vers, ou bien en docte prose, Que vous serez toujours, quoi que l’on se propose, | |
Tout ce que vous avez été durant vos jours ; C’est-à-dire, un esprit chaussé tout à rebours, Une raison malade, et toujours en débauche, Un envers du bon sens, un jugement à gauche, Un brouillon, une bête, un brusque, un étourdi, | |
Que sais-je, un... cent fois plus encor que je ne dis, C’est faire en abrégé votre panégyrique. | |
LÉLIE | |
Apprends-moi le sujet qui contre moi te pique : Ai-je fait quelque chose ? éclaircis-moi ce point. | |
MASCARILLE | |
Non, vous n’avez rien fait ; mais ne me suivez point. | |
LÉLIE | |
Je te suivrai partout, pour savoir ce mystère. | |
MASCARILLE | |
Oui ? sus donc, préparez vos jambes à bien faire ; Car je vais vous fournir de quoi les exercer. | |
LÉLIE | |
Il m’échappe ! ô malheur qui ne se peut forcer! Au discours qu’il m’a fait que saurais-je comprendre ? | |
Et quel mauvais office aurais-je pu me rendre ? |