le début de la gloire
Le théâtre du Petit-Bourbon
En 1658, Monsieur a 18 ans. Il faut lui
donner un train de vie digne du frère d’un grand roi. On lui achète le château de Saint-Cloud. Il doit avoir une
troupe de théâtre. Ce sera celle de Molière. On offre à la troupe la gratuité
du théâtre du Petit-Bourbon, une salle vaste et bien équipée, en
alternance avec la troupe italienne deScaramouche.
Les Italiens jouent les « jours ordinaires de comédie », la
troupe de Molière les « jours extraordinaires », soit les lundi,
mercredi, jeudi et samedi. Durant l'été, les Italiens retournent dans leur
pays, d'où ils ne reviendront que près de deux mois plus tard : désormais,
Molière et ses compagnons peuvent jouer les jours ordinaires, comme toutes les
autres troupes.

Pendant dix mois, la troupe fait alterner
des pièces anciennes — tragédies de Corneille surtout
ainsi que de Rotrou et de Tristan l'Hermite, comédies de Scarron —
avec ses deux premières comédies L'Étourdi et Le Dépit amoureux,
qui étaient des nouveautés pour le public parisien. Selon La Grange, les
recettes rapportées par ces deux pièces auraient été excellentes entre novembre
et le relâche de Pâques. Mais à la reprise, les recettes ne sont plus très
brillantes, malgré l'arrivée du célèbre Jodelet. Le 18 novembre 1659, Molière
crée sa première pièce parisienne, Les Précieuses Ridicules, dans laquelle il
joue Mascarille. Cette petite comédie en un acte, destinée au départ à être
jouée après une tragédie et qui fait la satire du snobisme et des jargons de
l’époque, remporte un très grand succès et crée un effet de mode : le
sujet est copié et repris. Molière imprime sa pièce à la hâte parce qu’on tente
de la lui voler. Il y ajoute une préface plutôt provocante car il aime la
satire. C’est la première fois qu’il publie, il a désormais le statut d’auteur.
Plusieurs personnages de marque, tels des
ministres et même Monsieur le Prince, invitent Molière à faire
jouer sa pièce chez eux. De retour de la frontière espagnole où il est allé
épouser l'Infante d'Espagne Marie-Thérèse et attendant au château de Vincennes
de faire son entrée solennelle à Paris avec la jeune reine,Louis XIV voit
les Précieuses le 29 juillet 1660, puis le 31 sa nouvelle
pièce, Sganarelle ou le cocu imaginaire (4e pièce
de Molière, qui joue Sganarelle), petite comédie en un acte reposant sur une
suite de quiproquos. Les recettes de celle-ci n’atteignent pas les sommets de
la précédente, toute la Cour étant à Saint-Jean-de-Luz pour
le mariage du roi, au moment de la création de la pièce, mais il la jouera 123
fois dans son théâtre, plus souvent qu’aucune de ses autres pièces, tandis que
les Précieuses, jouées 55 fois, ne le seront plus par sa troupe après
1661.
Molière a le vent en poupe. Grâce à ses
propres pièces, car les tragédies qu'il donne, y compris celles de Corneille
n'ont pas grand succès. Thomas
Corneille reprochera dès lors à la troupe de Molière de mal jouer la
tragédie et ce sera l'attitude constante des ennemis de Molière : il est
incapable de jouer correctement la tragédie, il ne réussit que dans des genres
inférieurs auprès de la partie des spectateurs la moins valable. En 1660, ses
comédies constituent pour la première fois plus de la moitié des pièces jouées
(110 sur 183). La troupe reçoit maintenant souvent des gratifications de la
part du roi, ce qui compense le fait que la pension de 300 livres promise par
Monsieur n'a jamais été versée, ainsi que le La Grange écrit au début de
son Registre.
Le 6 avril 1660, le frère cadet de
Molière meurt. La charge de tapissier valet de chambre du roi lui revient de
nouveau. Il la gardera jusqu'à sa mort. Elle impliquait qu'il se trouve chaque
matin au lever du roi, un trimestre par an. Dans son acte d'inhumation, il sera
dit « Jean-Baptiste Poquelin de Molière, tapissier, valet de chambre
du roi », sans autre qualification : à cette époque, la charge était
prestigieuse, alors que le métier de comédien ne l'était pas.
Le 11 octobre 1660, la troupe se trouve
brusquement à la rue. On démolit le théâtre du Petit-Bourbon pour bâtir la
colonnade du Louvre. Mais Molière n’est pas en disgrâce. Le 21, le roi l’invite
pour jouer l’Etourdi et les Précieuses. Le 26, il rejoue les mêmes
pièces chez le cardinal Mazarin malade en présence du roi, qui lui attribue une
nouvelle salle appartenant à la couronne, et donc gratuite elle aussi, celle
du Palais-Royal.
Le théâtre du Palais-Royal
Le théâtre, construit par le cardinal Richelieu vingt
ans plus tôt, est délabré ; la salle doit être refaite. Philippe d'Orléans convainc le
Roi de la restaurer et de l'attribuer à la troupe de Molière. Après des travaux
effectués sous la direction d’Antoine de Ratabon, surintendant général des
bâtiments, elle rouvre le 20 janvier 1661. Le 4 février, Molière donne une
nouvelle pièce, une tragi-comédie, Dom Garcie, où il joue le
rôle principal. Devant être arrêtée après seulement sept représentations, c’est
un échec qui le ramène définitivement, comme auteur, sur le terrain de la
comédie. Voltaire dans
sa Vie de Molière dit qu'il « avait une volubilité dans la
voix et une espèce de hoquet qui ne pouvait convenir au genre sérieux, mais qui
rendait son jeu comique plus plaisant ». Son débit parlé n'était donc pas
fluide. Ses expériences dans le genre sérieux lui ont été le plus souvent
néfastes.

Fin avril 1661, après les trois semaines
de fermeture impérative de Pâques, on entame la nouvelle saison avec des
reprises. Molière continue de mêler comédies et tragédies. La troupe compte
maintenant sept acteurs et cinq actrices : Molière, les trois Béjart, les
couples De Brie, Du Parc et Du Croisy,
plus l’Epi et Lagrange. Molière demande deux parts au lieu d’une dans le
partage, jusque là égalitaire, de la recette. La troupe accepte, mais précise
que s’il se marie avec une actrice, le ménage n’aura que deux parts.
Le 24 juin 1661, une nouvelle
comédie en trois actes, L'École des maris (6e pièce de Molière,
qui joue Sganarelle) est un succès. Succès qui amène le surintendant Fouquet à
commander une pièce pour une fête qu’il organise pour le roi dans son château de Vaux-le-Vicomte. C’est la
première fois que Molière crée une pièce pour la cour. Connaissant le goût de
Louis XIV pour les ballets, il crée un nouveau genre, la comédie-ballet,
intégrant comédie, musique et danse : les entrées de ballet sont placées
au début et dans les entractes de la comédie et ont le même sujet. Le 17 août
1661, Les Fâcheux sont un succès. Le roi ayant observé
qu’un fâcheux auquel Molière n’avait pas pensé méritait sa place dans la
galerie, Molière modifie rapidement le contenu de sa pièce. C’est un tournant
décisif pour lui : il a attiré l’attention de Louis XIV.
